Deux œuvres peuvent-elles avoir le même titre ? Non, si celui de l’œuvre antérieure est original !
Dans un arrêt du 19 avril 2019, la Cour d’appel de Paris a rappelé que le titre d’une œuvre peut être protégé par le droit d’auteur, à condition d’être original. Rien de nouveau à cet égard sur le plan des principes, l’article L.112-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoyant expressément que « le titre d’une œuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’œuvre elle-même ». Dans cette affaire, l’auteur d’un roman reprochait à un autre écrivain d’avoir utilisé un titre quasiment identique au sien. La copie ou l’imitation d’un titre constitue une contrefaçon de droit d’auteur, à condition que le titre antérieur soit original. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris est intéressant dans la mesure où il apporte quelques précisions sur la manière dont la jurisprudence française apprécie l’originalité d’un titre. Explications :
La difficile appréciation de l’originalité du titre d’une œuvre
La protection par le droit d’auteur suppose que l’œuvre soit originale. S’agissant des titres des œuvres, il n’est pas toujours facile en pratique de tracer la frontière entre ce qui est original et ce qui est banal.
Certains titres sont jugés originaux (« The X-files » TGI Paris, 3e ch., 4 sept. 2001 ; « Hara-Kiri » TGI Paris, 3e ch.2e sect., 4 novembre 2016, 16/11158).
Alors que d’autres titres sont considérés comme banals (« Jours de France » CA Paris, pôle 5, 20 nov. 2015, n° 15/00522).
La question de l’appréciation de l’originalité d’un titre est d’autant plus importante qu’il appartient à celui qui revendique des droits d’auteur sur un titre d’en démontrer l’originalité :
« L’appelante qui agit sur le terrain du droit d’auteur ne démontre pas en quoi la combinaison de ces trois mots, du fait de leur agencement qui n’a rien d’insolite comme elle n’avait rien d’inusuel en 1954, peut donner prise au droit d’auteur ».
(CA Paris, pôle 5, 20 nov. 2015, n° 15/00522 précité)
Deux œuvres peuvent-elles avoir le même titre ?
L’affaire Mémoire fauve : les faits et la procédure
Dans cette affaire, un écrivain invoquait des droits d’auteur sur le titre de son roman « MÉMOIRE FAUVE », publié le 17 avril 2014 aux éditions Alma. Il reprochait à un autre écrivain d’avoir utilisé le titre « MÉMOIRES FAUVES » pour un roman publié le 19 août 2015 aux éditions Calmann-Lévy.
En première instance, le Tribunal de grande instance de Paris avait estimé que le titre « MÉMOIRE FAUVE » n’était pas original et avait en conséquence débouté le premier auteur de l’ensemble de ses demandes (TGI Paris, 23 mars 2018, RG n° 16/06779).
Le demandeur a interjeté appel de cette décision.
Le titre du roman antérieur est-il original et donc protégeable par le droit d’auteur ?
Dans son arrêt du 19 avril 2019, la cour infirme la décision du tribunal, jugeant que le titre « MÉMOIRE FAUVE » est original.
Elle rappelle tout d’abord qu’il n’était pas contesté que le roman « MÉMOIRE FAUVE » « bénéficie pour lui-même de la protection au titre du droit d’auteur ». Elle en déduit que son titre peut en conséquence prétendre à la protection du droit d’auteur « à la condition qu’il soit pourvu d’originalité ».
La cour précise à cet égard que :
« l’originalité d’une œuvre doit s’apprécier de manière globale de sorte que la combinaison des éléments qui la caractérise du fait de leur agencement particulier lui confère une physionomie propre qui démontre l’effort créatif et le parti-pris esthétique portant l’empreinte de la personnalité de l’auteur ».
Au regard de ces principes, la cour apprécie ensuite l’originalité du titre revendiqué.
Elle constate à cet égard que si les deux mots « Mémoire » et « Fauve » « ne présentent par eux-mêmes aucune originalité et peuvent se retrouver, séparément, dans de nombreux titres d’œuvres littéraires », ils ne sont pour autant « pas généralement utilisés en association l’un avec l’autre », les intimés n’ayant visiblement pas même allégué une utilisation conjointe et antérieure de ces deux mots.
Cette simple absence d’une utilisation antérieure de la combinaison de mots revendiquée ne suffisait pas toutefois à démontrer l’originalité du titre au cas présent. En effet, il est constant que le fait qu’une œuvre ne se retrouve pas à l’identique dans l’art antérieur ne signifie pas nécessairement qu’elle soit pour autant originale (Cass., civ. 1re, 7 novembre 2006, pourvoi n° 05-16843 ; CA Paris, pôle 5, 7 mars 2014, n° 13/04185).
La cour poursuit donc, logiquement, son raisonnement en soulignant qu’il appartient néanmoins à l’auteur « d’identifier, au regard de ce titre, les éléments traduisant sa personnalité ».
Elle relève à cet égard que le choix du terme « mémoire » est intimement lié au récit de l’auteur qui concerne « une jeune femme devenue membre d’un club de sport » qui tombe dans le coma et se réveille sur un lit d’hôpital psychiatrique, « privée de mémoire ».
La cour relève également que le choix du terme « fauve » est intimement lié à l’histoire de cette femme, qui s’articule « autour de deux périodes, une première partie « période fauve » qui est en fait le récit de la période avant « l’accident » et la seconde « période blanche » ».
Les juges en concluent que « la preuve de l’originalité du titre « MÉMOIRE FAUVE » est parfaitement rapportée et le jugement entrepris sera infirmé de ce chef ».
Le deuxième titre de roman constitue-t-il la contrefaçon du premier ?
Les juges considèrent, de manière assez prévisible dès lors que l’originalité du titre susvisé était reconnue, que le titre « mémoires fauves » constitue la contrefaçon du titre antérieur. Le fait d’avoir utilisé l’expression « Mémoire fauve » au pluriel ne permet pas « la différenciation des titres », sachant que le titre litigieux conserve « la même sonorité ».
La cour ajoute à cet égard que « l’éventuelle bonne foi des contrefacteurs est sans incidence ». Il importe donc peu que le titre « Mémoires fauves » puisse avoir sa logique propre au regard de l’ouvrage traitant des souvenirs d’un personnage dont le nom de scène est « Fauves ». Là encore, il s’agit d’un principe constant en matière de droit d’auteur (Cass. 1re civ., 3 décembre 2002, n° 00/20 332 ; Cass. 1re civ., 10 juillet 2013, n° 12/19170).
Les juges semblent, en tout état de cause, ne pas avoir été convaincus de la bonne foi de l’auteur du roman en cause. Ils ont en effet relevé, au stade de l’évaluation du préjudice, que :
- Le livre litigieux n’avait été publié que 16 mois après la sortie de l’ouvrage « Mémoire fauve » ;
- Il s’agit également d’« un roman parlant de souvenirs d’une héroïne ou d’un héros lié dans un cas au monde médiatique télévisuel et dans l’autre au monde de la musique rock » ;
- Les deux auteurs sont issus professionnellement du monde musical.
Au regard de ces éléments, la cour alloue 5 000 euros de dommages et intérêts à l’auteur de l’ouvrage « Mémoire fauve » et prononce des mesures d’interdiction.
La protection des titres des œuvres de l’esprit : les apports de l’arrêt du 19 avril 2019
Si cette décision de la Cour d’appel de Paris est relativement classique, elle appelle néanmoins quelques commentaires.
Il appartient à l’auteur de démontrer l’originalité du titre de son œuvre
Les juges d’appel confirment la jurisprudence aujourd’hui bien établie en France selon laquelle il appartient à l’auteur d’une œuvre d’en démontrer l’originalité (Cass., 1re civ., 8 novembre 2017, RG n° 16/22105 ; Cass., 1re civ., 8 novembre 2017, RG n° 16/18017).
Nous avons eu l’occasion de souligner ailleurs que cette démonstration est parfois très difficile à faire en pratique. En l’occurrence, la cour s’est appuyée sur le fait que les termes du titre étaient liés à l’œuvre à laquelle ils s’appliquent.
Comparaison de la décision avec le droit de l’Union européenne
On peut s’interroger sur le point de savoir si cette jurisprudence est conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.
Dans son arrêt Infopaq de 2009, la CJUE a certes jugé qu’une combinaison de mots peut être originale (CJUE, 16 juillet 2009, Infopaq, C ‑5/08). La CJUE a toutefois précisé par la suite la notion d’originalité en affirmant qu’est originale une œuvre qui résulte de choix libres et créatifs (CJUE, 1er décembre 2011, Painer, C-145/10).
En l’espèce, la Cour d’appel de Paris ne semble pas avoir appliqué exactement ces critères, les juges ayant utilisé la formule habituellement employée par la jurisprudence française, selon laquelle une œuvre est originale dès lors qu’elle résulte d’un « effort créatif ».
De manière plus critiquable selon nous, la Cour d’appel de Paris semble avoir déduit le caractère créatif de la combinaison de termes en cause du simple fait que ces termes étaient liés au contenu de l’œuvre. Or, on pourrait très bien imaginer qu’une combinaison de termes reflétant le contenu d’une œuvre ne soit pas pour autant originale en tant que telle.
À notre sens, la cour aurait dû s’attacher plus à la question de savoir si le fait de combiner les termes « mémoire » et « fauve » pouvait, en tant que tel, révéler un choix créatif, peu important le lien que ces termes puissent avoir avec le contenu de l’œuvre.
La solution retenue par la cour n’en aurait peut-être pas été différente, sachant que le seuil de créativité exigée par la jurisprudence européenne est bas (cf. notre article en matière de photographies) et que toute œuvre, quel que soit son mérite, peut être protégée par le droit d’auteur.
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