Cumul de protection : un dessin ou modèle est également protégeable par le droit d’auteur à la – seule – condition d’être original
Dans ses conclusions du 2 mai dernier rendues dans l’affaire G-Star (accessibles ici), l’avocat général SZPUNAR estime qu’un dessin ou modèle peut être protégé par le droit d’auteur à la condition d’être original. Ce critère constitue selon lui « l’exigence maximale que les États membres sont en droit d’imposer pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur, quel que soit le niveau de création artistique de l’objet en question » (point 31). Le régime du droit d’auteur de l’Union ne comporte à cet égard aucun fondement légal permettant une limitation de la protection par le droit d’auteur des œuvres des arts appliqués qui doivent être « protégées en tant que créations intellectuelles propres à leur auteur, au même titre que les autres catégories d’œuvres » (point 53).
Cette solution n’est pas nouvelle en droit d’auteur français, qui protège les œuvres de l’esprit « quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » (article L.112-1 CPI).
Toutefois, la solution fait débat dans plusieurs Etats membres qui s’appuient sur l’article 17 de la directive 98/71/CE du 13 octobre 1998 et l’article 96.2 du règlement n° 6/2002 du 12 décembre 2001 pour conditionner la protection des œuvres des arts appliqués à d’autres critères tels que la hauteur artistique ou le caractère artistique de l’œuvre (cf. notamment sur ce point : Mireille Buydens, Georges Brox, Pierre Massot, Robert Roser et Francesco Rossi, L’originalité des œuvres des arts appliqués en Europe : vers une harmonisation ?, Revue Propriétés Intellectuelles n°63, avril 2017, http://www.irpi.fr/revuepi/article.asp?ART_N_ID=876). En l’occurrence, dans l’affaire en cause, il s’avère que le droit d’auteur portugais protège « les œuvres d’art appliqué, dessins ou modèles industriels et œuvres de design qui constituent une création artistique, indépendamment de la protection relative à la propriété industrielle ».
Il est vrai que l’article 17 de la directive 98/71/CE et l’article 96.2 du règlement n° 6/2002 prévoit expressément que les Etats membres disposent d’une marge de liberté en la matière.
Cet article dispose en effet que : « Un dessin ou modèle ayant fait l’objet d’un enregistrement dans ou pour un État membre, conformément aux dispositions de la présente directive, bénéficie également de la protection accordée par la législation sur le droit d’auteur de cet État à partir de la date à laquelle le dessin ou modèle a été créé ou fixé sous une forme quelconque. La portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminées par chaque État membre ».
L’article 96, paragraphe 2, du règlement n° 6/2002 prévoit quant à lui que « un dessin ou modèle protégé par un dessin ou modèle communautaire bénéficie également de la protection accordée par la législation sur le droit d’auteur des États membres à partir de la date à laquelle il a été créé ou fixé sous une forme quelconque. La portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminées par chaque État membre ».
Toutefois, l’avocat général considère que cette marge de liberté a aujourd’hui disparue dès lors qu’une harmonisation a été effectuée par la directive n°2001/29 « telle qu’interprétée par la Cour » (point 38).
Le paradoxe ici est que cette harmonisation de la notion d’originalité n’est pas véritablement le résultat de l’intention du législateur européen, la directive n°2001/29 ne définissant par les conditions de protection des œuvres par le droit d’auteur. Elle est le fruit de l’interprétation qu’en a donnée, par la suite, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 16 juillet 2009, aff. C‑5/08, Infopaq ; CJUE, 1er décembre 2011, aff. C‑145/10, Painer). Autrement dit, alors que le législateur européen avait expressément laissé une marge de liberté pour fixer les conditions de protection des œuvres des arts appliqués par le droit d’auteur, sous réserve que le cumul de protection avec les dessins et modèles soit en principe possible, cette marge de liberté aurait disparue du fait de l’interprétation prétorienne de la directive n°2001/29.
Cette question avait été abordée indirectement dans l’affaire Flos concernant la durée de la protection des dessins et modèles par le droit d’auteur. La Cour de justice de l’Union européenne avait relevé dans cette affaire que la faculté laissée aux États membres de déterminer la portée et les conditions d’obtention de cette protection ne pouvait pas concerner la durée de cette protection, celle-ci étant harmonisée au niveau de l’Union par la directive 93/98/CEE. Cette décision avait toutefois été vivement critiquée par certains auteurs dès lors que la directive 98/71/CE avait prévu un régime d’exception pour les oeuvres des arts appliqués (Bently, Lionel A. F., The Return of Industrial Copyright ? The Return of Industrial Copyright ? July 19, 2012. European Intellectual Property Review, Vol. 10, sept. 2012; University of Cambridge Faculty of Law Research Paper No. 19/2012. Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=2122379 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2122379). D’autres auteurs estimaient quant à eux que la solution retenue par la CJUE dans l’affaire Flos ne serait applicable qu’aux dessins et modèles non enregistrés (E. Derclaye, Assessing the impact and reception of the Court of Justice of the European Union case law on UK copyright law : what does the future hold ? : RIDA, 2014 (240) p. 5 0 117, point 4.2.1).
Selon nous, et quoi que l’on puisse penser de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui va clairement au-delà de la volonté du législateur européen, il apparaît aujourd’hui que les États membres doivent protéger les œuvres des arts appliqués par le droit d’auteur au regard du critère de l’originalité tel que défini de manière autonome et uniforme par la Cour de justice. La Cour ayant harmonisé le critère de protection des œuvres de l’esprit en se fondant sur l’article 2 de la directive 2001/29/CE, celui-ci apparaît applicable à toutes les œuvres de l’esprit, y compris les œuvres des arts appliqués (notamment sur ce point : Mireille Buydens, Georges Brox, Pierre Massot, Robert Roser et Francesco Rossi, L’originalité des œuvres des arts appliqués en Europe : vers une harmonisation ?, Revue Propriétés Intellectuelles n°63, avril 2017, http://www.irpi.fr/revuepi/article.asp?ART_N_ID=876 ; A. Kur et T. Dreier, European Intellectual Property Law, 2013, p. 291s. ; M. Vivant et J.-M. Bruguiere, Droit d’auteur et droits voisins, Dalloz, 2016).
C’est en tout cas la solution préconisée par l’avocat général SZPUNAR, qui considère que la solution retenue par la Cour dans l’affaire Flos peut être transposée s’agissant des conditions de protection des œuvres des arts appliqués par le droit d’auteur : « le même raisonnement peut être suivi à l’égard de la directive 2001/29 : cette directive, telle qu’interprétée par la Cour, ayant harmonisé les droits patrimoniaux des auteurs, y compris la notion d’« œuvre », fondamentale pour l’application uniforme desdits droits, ces questions échappent à la faculté accordée aux États membres à l’article 17 de la directive 98/71 et, par analogie, à l’article 96, paragraphe 2, du règlement n° 6/2002 » (point 47).
Reste à savoir si la Cour suivra ces conclusions et l’arrêt qui sera rendu par la cour dans l’affaire l’affaire G-Star méritera assurément une grande attention. Certes, quelle que soit la décision rendue par la cour, celle-ci n’aura probablement qu’une faible incidence en droit français qui protège les œuvres des arts appliqués dès lors qu’elles sont originales. Toutefois, cette décision pourrait avoir une forte incidence sur la protection du design au sein de l’Union européenne en rapprochant, enfin, les législations des différents Etats membres en matière de protection des œuvres des arts appliqués par le droit d’auteur, ce qui nous semble éminemment souhaitable.
En conclusion, l’avocat général précise, pour répondre aux arguments de ceux qui craignent que le régime du droit d’auteur évince le régime sui generis destiné aux dessins et modèles, « qu’une application rigoureuse du droit d’auteur par les juridictions nationales serait susceptible de remédier dans une large mesure aux inconvénients résultant du cumul de ce type de protection avec la protection sui generis des dessins et modèles. En effet, il s’agit non pas d’étendre, par le biais du droit d’auteur, la protection conférée aux dessins et modèles jusqu’à soixante-dix ans après la mort de l’auteur, mais de réaliser à l’égard des œuvres des arts appliqués les objectifs spécifiques du droit d’auteur à l’aide des dispositifs qui lui sont propres » (point 54).
L’avocat général ajoute également de manière intéressante que « si le seuil d’originalité adopté en droit d’auteur n’est habituellement pas très élevé, il n’est toutefois pas inexistant » et que « pour bénéficier de la protection, l’effort de l’auteur doit être libre et créatif. Les solutions dictées uniquement par le résultat technique ne sauraient être protégées, de même que le travail dépourvu de toute créativité. En ce sens, il n’est pas nécessaire d’exiger des objets utilitaires un niveau artistique particulièrement élevé par rapport à d’autres catégories d’œuvres, il suffit d’appliquer à la lettre le critère de la création intellectuelle propre à son auteur. Tout produit utilitaire possède un aspect visuel, fruit du travail de son concepteur. Cependant, tout aspect visuel ne sera pas protégé par le droit d’auteur » (point 57).
Là encore, ces conclusions sont intéressantes dans la mesure où, à notre connaissance, la notion d’ « effort » créatif n’a jamais été retenue par la cour de justice qui considère qu’une œuvre est protégeable si elle est originale, c’est à-dire si elle résulte de choix libres et créatifs. Faut-il voir ici un possible rapprochement avec une partie de la jurisprudence française qui affirme depuis de nombreuses années qu’une œuvre est originale lorsqu’elle résulte d’un effort créatif de son auteur (Cass., Civ., 2 mars 1999, pourvoi n°97-10179) ?
A n’en pas douter, ces conclusions particulièrement riches laissent augurer d’une harmonisation renforcée du droit d’auteur européen et il conviendra de suivre avec une attention particulière les suites qui y seront données par la Cour de justice.