Les incidences de la « Loi Pacte » en matière de propriété intellectuelle
La Loi Pacte, dont certains volets ont suscité de vifs débats et provoqué une saisine du Conseil Constitutionnel, a eu plusieurs incidences en matière de propriété intellectuelle.
En matière de brevet, la Loi Pacte a tout d’abord instauré une procédure d’opposition devant l’INPI (article 121) tout en prévoyant un contrôle a priori de l’activité inventive des demandes de brevet (article 122), ce qui constitue une évolution majeure du système de délivrance des brevets français (voir not. sur ce point Y. REBOUL et L. NUSS « À propos de la réforme du droit français des brevets dans le projet de loi Pacte », Prop. Ind. n°3, mars 2019, étude n°6 ; N. BINCTIN, chron. JCP A, n° 48, nov. 2018, 1617).
La Loi Pacte contient également des dispositions relatives à la prescription qui vont avoir des incidences importantes en pratique : les nouveaux textes prévoient en effet l’imprescriptibilité des actions en nullité de titres de propriété industrielle (1) ; ils modifient aussi le point de départ du délai de prescription des actions en contrefaçon de titres de propriété industrielle (2).
1/ L’imprescriptibilité des actions en nullité de titres de propriété industrielle
En premier lieu, la Loi Pacte précise désormais expressément que les actions en nullité de brevets (art. L. 615-8-1 du CPI), de dessins et modèles (art. L. 521-3-2 du CPI), de marques (art. L. 714-3-1 du CPI) et de certificats d’obtention végétale (art. L. 623-29-1 du CPI) sont imprescriptibles.
Cette précision était nécessaire et vivement attendue.
En effet, la jurisprudence française avait soumis récemment l’action en nullité de brevets et de marques à la prescription de droit commun des actions personnelles et mobilières prévue par l’article 2224 du Code civil, les enfermant ainsi dans un délai de 5 ans courant à compter du moment où le demandeur avait connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer (cf. par ex. TGI Paris, 18 décembre 2015, RG n°14/04698 ; TGI Paris, 16 mars 2017, RG n°15/07920, Propr. industr. 2017, comm. 53, note J. Raynard ; TGI Paris, 28 avril 2017, RG n°15/09770).
Dans un arrêt « Cheval Blanc », qui a fait couler beaucoup d’encre, la Cour de cassation avait ainsi jugé que l’action en nullité d’une marque pour déceptivité se prescrivait conformément au droit commun :
« le fait que le vice de déceptivité, dont une marque est entachée, ne puisse être purgé ni par l’usage ni par le temps n’est pas de nature à rendre imprescriptible l’action, par voie principale, en nullité de la marque fondée sur ce vice et n’a pas pour effet de suspendre le délai de prescription tant que la marque demeure inscrite au registre national des marques » (Cass. Com., 8 juin 2017, pourvoi n°15/21357).
Cette décision avait presque anéanti tout espoir de faire évoluer la jurisprudence, de sorte qu’en pratique, les discussions se concentraient sur le point de départ de la prescription.
Sur ce plan, certaines décisions considéraient que le point de départ de la prescription correspondait à la publication de la délivrance du titre (CA Paris, 22 sept. 2017, RG n°14/25130, Prop. Ind. 2018, comm. 2, obs. J. Raynard ; cf. également CA Paris, 20 Octobre 2017, RG n°15/09777 précisant toutefois que le délai ne peut courir qu’au plus tôt à compter de cette date).
Le Tribunal de grande instance de Paris avait quant à lui adopté une position plus pragmatique, en jugeant que, pour fixer le point de départ de la prescription, il convient de déterminer la date de connaissance de la cause de nullité en fonction des circonstances de l’espèce.
A titre d’exemple, le Tribunal de grande instance de Paris avait considéré, dans un jugement du 25 octobre 2018, que :
« Le point de départ de la prescription doit ainsi être fixé au jour, déterminé in concreto, où les sociétés TEVA ont ou auraient dû avoir connaissance du brevet et du CCP, à raison de leur intention de commercialiser le générique du médicament INEGYO, le brevet constituant un obstacle à leur exploitation. L’intérêt de la connaissance du brevet et du CCP en vue d’agir en nullité naît de l’entrave que le titre constitue ou est susceptible de générer à l’endroit de l’activité économique exercée par les demandeurs dans le domaine de l’invention. Ainsi, la publication de la délivrance du brevet ou du CCP, qui imposerait effectivement une veille irréalisable aux acteurs du marché et est en soi étrangère à l’élaboration du projet faisant naître l’intérêt à agir. L’intérêt à agir des sociétés TEVA ne naît pas lors de la publication du titre mais de leur intention concrétisée de commercialiser le même médicament. Et il leur appartient alors de vérifier que leur intention de commercialiser ce produit ne se heurte pas à un titre de propriété intellectuelle et si tel est le cas de faire en sorte d’en obtenir la nullité avant de lancer la commercialisation. La surveillance générale et systématique des registres de brevet ne peut être demandée aux acteurs économiques tant qu’ils n’ont pas l’intention de développer un produit concurrent » (TGI Paris, 25 octobre 2018, RG n°16/16178 ; voir déjà en ce sens : TGI Paris, 18 décembre 2015, RG n°14/04698 ; TGI Paris, 16 mars 2017, RG n°15/07920, Propr. industr. 2017, comm. 53, note J. Raynard ; TGI Paris, 28 avril 2017, RG n°15/09770).
L’ensemble de cette jurisprudence qui appliquait la prescription quinquennale a fait l’objet de vives critiques dans la mesure où elle permettait de maintenir en vigueur des titres de propriété industrielle entachés de nullité alors même que l’intérêt général commande de supprimer « même tardivement […] ces titres nuls qui continuent à produire leurs effets absolus et monopolistiques en violation de la loi et des libertés fondamentales » (Prop. Intell., n°66, note C. DE HAAS, p. 95, sous Cass., 8 juin 2017 ; voir not. pour une critique de cet arrêt : D. 2017.1635, note POLLAUD-DULLIAN).
De nombreux auteurs contestaient ainsi l’application de la prescription prévue à l’article 2224 du Code civil au motif que l’action en nullité de brevet, et plus généralement des titres de propriété industrielle, ne constitue pas une action personnelle (visant à faire reconnaitre un droit personnel) de sorte qu’elle ne devrait être soumise à aucune prescription (voir not. : C. DE HAAS, Prop. Intell., n°66, p. 95, note sous Cass., 8 juin 2017, préc. ; J. RAYNARD, Prop. Ind. n°10, oct. 2017, pp. 42-43 ; P. SCHMITT, « Pas de prescription de l’article 2224 du Code civil à l’action en nullité d’un droit de propriété industrielle », Prop. Ind. n°12, déc. 2017, pp.31-32 ; M. DHENNE & E. PY « Vers l’imprescriptibilité des actions en nullité des titres de propriété industrielle ? – Travaux issus de la conférence du 15 mars 2018 relative à la prescription de l’article 2224 du Code civil et les actions en nullité des titres de propriété industrielle » ; Prop. Ind. n° 6, juin 2018, dossier n°1 ; F. POLLAUD-DULLIAN, « La prescription des actions en nullité en droit des marques », Prop. Ind. n° 6, juin 2018, dossier n°2 ; E. PY « La prescription de l’action en nullité de brevet, Prop. Ind. n° 6, juin 2018, dossier n°3 ; M. DHENNE « La prescription des actions en nullité des titres de propriété industrielle à la lumière de la liberté du commerce et de l’industrie », Prop. Ind. n° 6, juin 2018, dossier n°4 ; J.-C. GALLOUX, « Brevet – La prescription des actions en nullité : approches comparées », Prop. Ind. n° 6, juin 2018, dossier n°5 ; O. HUBERT, « La prescription extinctive des actions en revendication et en nullité de brevet d’invention », Propr. intell. juill. 2018 n° 68, p. 28).
La doctrine appelait ainsi de ses vœux l’adoption d’une loi pour « pour briser la solution de l’arrêt commenté et rétablir l’imprescriptibilité des nullités intrinsèques… » (D. 2017.1635, note POLLAUD-DULLIAN).
Le législateur a entendu ces critiques, grâce notamment au travail réalisé par l’Institut Stanislas de Boufflers qui a joué un rôle actif à cet égard.
Ainsi, les dispositions du Code de la propriété intellectuelle telles qu’issues de la Loi Pacte précisent désormais que les actions en nullité de brevet (art L. 615-8-1 du CPI), de dessins et modèles (art. L. 521-3-2 du CPI) et d’obtention végétale (art. L. 623-29-1 du CPI) ne sont soumises « à aucun délai de prescription ».
En matière de marques, si l’article L. 714-3-1 du CPI prévoit également aujourd’hui que « l’action en nullité d’une marque n’est soumise à aucun délai de prescription », il réserve toutefois le cas des actions prévues au « troisième alinéa de l’article L. 714-3 et de l’article L. 714-4 ».
Le législateur a donc expressément exclu la règle de l’imprescriptibilité aux cas de forclusion par tolérance (art. L. 714-3 al. 3 du CPI) et aux actions en nullité ouvertes aux propriétaires des marques notoirement connues au sens de l’article 6 Bis de la Convention de Paris (art. L. 714-4 du CPI). La solution se justifie aisément pour la forclusion par tolérance dans la mesure où, comme le souligne le Professeur Passa, elle constitue un mécanisme juridique de nature différente de celle de la prescription extinctive de l’action en nullité d’une marque. D’ailleurs, comme le rappelle ce dernier, l’article 2220 du Code civil énonce que « les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre (sur la prescription extinctive) » (J. PASSA, « Réforme en profondeur de la prescription des actions en annulation et en contrefaçon des titres nationaux de propriété industrielle », Prop. Ind. n°7-8, juillet-août 2019, p. 13).
En guise de conclusion sur ce premier point, on retiendra que les modifications introduites par la Loi Pacte sont bienvenues et permettront de solliciter la nullité de titres de propriété industrielle entachés de nullité, sans condition de délais.
Reste néanmoins quelques incertitudes – comme souvent – pour le droit transitoire. En effet, l’article 124 III de la Loi prévoit que les dispositions précitées « s’appliquent aux titres en vigueur au jour de la publication de la présente loi » (soit le 23 mai 2019) et « sont sans effet sur les décisions ayant force de chose jugée ». Selon le Professeur Passa, en vertu de ce texte, l’imprescriptibilité ne devrait s’appliquer qu’aux actions, introduites avant ou après le 23 mai 2019, tendant à l’annulation de titres délivrés avant ou après cette même date, dès lors que, à cette date, la prescription du droit antérieur n’était pas acquise (J. PASSA, préc.).
La solution ne semble cependant pas claire et elle ne manquera pas de donner lieu à discussion.
2/ Le nouveau point de départ du délai de prescription des actions civiles en contrefaçon des titres de propriété industrielle
La Loi Pacte procède par ailleurs à une modification significative du régime applicable à la prescription des actions civiles en contrefaçon de brevets, dessins et modèles et marques.
La loi n°2014-315 du 11 mars 2014 avait déjà allongé le délai de prescription de 3 à 5 ans pour les actions civiles en contrefaçon de brevets, dessins et modèles et marques.
Sous l’empire de cette loi, le délai commençait à courir « à compter des faits qui en sont la cause » en matière de dessins et modèles (ancien art. L. 521-3 CPI) et en matière de brevets (ancien art. L.615-8 CPI). En matière de marque, à défaut de précision, le délai de prescription courrait « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer », conformément aux dispositions de droit commun (art. 2224 du code civil).
A cet égard, il était généralement admis que la contrefaçon est un délit successif. Ainsi, le Tribunal de grande instance de Paris avait considéré, dans un jugement du 18 novembre 2011 que « L’acte de contrefaçon s’analyse comme un délit civil successif, se renouvelant sans cesse tant que les faits litigieux se poursuivent, chaque fait litigieux constituant un nouveau délit, ce qui est le cas en l’espèce, les œuvres estimées contrefaisantes ayant été commercialisées en permanence » (TGI Paris, 18 novembre 2011, RG n°08/13451).
De même, la Cour d’appel de Paris avait jugé dans un arrêt du 20 septembre 2013 que « la contrefaçon étant un délit continu, chaque usage qualifié d’illicite constitue un acte distinct et l’action de Monsieur F introduite le 26 septembre 2008 devant le Tribunal, soit moins d’un an après le dernier acte incriminé, n’est donc pas prescrite » (CA Paris, 20 septembre 2013, RG n°11/22947).
Autrement dit, en fonction de la chronologie des faits, l’action pouvait être prescrite pour certains actes et pas pour d’autres, à charge pour les juges de vérifier quels actes étaient prescrits ou non, chaque acte déclenchant son propre délai, solution largement approuvée par la doctrine (voir not. en ce sens J. AZEMA, Lamy droit commercial, 2016, n°2440 ; F. POLLAUD-DULIAN, La propriété industrielle : Economica, 2011, n° 1766).
C’est sur ce point que la Loi Pacte apporte un important changement.
En effet, les nouvelles dispositions introduites par la Loi Pacte prévoient désormais que les actions civiles en contrefaçon de brevet (art. L. 615-8 du CPI), de dessins et modèles (art. L. 521-3 du CPI) et de marques (art. L. 716-5 al.3 du CPI) se prescrivent par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l’exercer ».
Désormais, seul « le dernier fait » fait courir le délai de prescription qui devient donc lui aussi un délai unique.
Cette solution remet donc en cause la conception classique adoptée par les juges en matière de prescription des actions en contrefaçon.
Le Professeur Passa s’interroge à cet égard sur le caractère juste et proportionné de cette nouvelle règle qui réduit sensiblement les hypothèses dans lesquelles les faits de contrefaçon seront susceptibles d’être prescrits (J. PASSA, « Réforme en profondeur de la prescription des actions en annulation et en contrefaçon des titres nationaux de propriété industrielle », Propriété industrielle, n°7-8, juillet-août 2019, p. 13).
Cette réforme est quoiqu’il en soit favorable à la lutte contre la contrefaçon et devrait permettre aux titulaires de droits de propriété industrielle de remonter plus loin dans le temps, et donc potentiellement d’obtenir des condamnations plus importantes, dès lors que le dernier acte de contrefaçon commis n’est pas prescrit.
On relèvera néanmoins que le législateur n’a apporté aucune modification aux règles de prescription applicables en matière d’actions civiles en contrefaçon de droits d’auteur, de sorte que ces actions restent soumises à la prescription de droit commun, à savoir aux dispositions de l’article 2224 du Code civil. Cette situation crée des disparités au sein des actions en contrefaçon de droits de propriété intellectuelle. Et ce d’autant que la prescription des actions pénales en contrefaçon est également soumise à un régime différent, la prescription étant désormais de six ans « à compter du jour où l’infraction a été commise » (J. TASSI, « Droit pénal de la contrefaçon : attention à l’allongement des délais », Village de la Justice, 7 MARS 2017). Tout en renforçant la lutte contre la contrefaçon, le législateur complexifie encore les principes applicables, ce qui nuit, malheureusement, à la lisibilité des actions menées sur un plan plus global.
En conclusion, la loi Pacte est venue consacrer le principe d’imprescriptibilité des actions en nullité de titres de propriété industrielle, ce qui constitue une clarification bienvenue pour l’équilibre du système. Par ailleurs, la loi va favoriser la défense des titres de propriété industrielle valable en allongeant la durée de la prescription.