Procédures administratives en droit des marques : évolution des compétences de l’INPI depuis la réforme de 2019
Les procédures administratives en droit de la propriété industrielle ont connu des changements majeurs ces dernières années. La réforme du droit des marques a été amorcée par la Directive du 16 décembre 2015 dite « Paquet Marques », puis transposée en droit interne par la Loi Pacte du 22 mai 2019, l’Ordonnance du 13 novembre 2019 et le Décret d’application du 9 décembre 2019. En particulier, le **champ de compétences de l’Institut national de la propriété industrielle **a été considérablement étendu. La procédure d’opposition à l’enregistrement des marques est élargie. L’institut est devenu compétent en matière de nullité et de déchéance de marques. Procédures INPI : quelles évolutions en droit des marques depuis la réforme de 2019 ? Notre décryptage des modifications substantielles apportées aux procédures administratives :
Une réforme majeure du droit des marques
Outre les évolutions notables apportées en matière de prescription (voir notre article à ce sujet), la Loi Pacte du 22 mai 2019 a autorisé le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance et dans un délai de six mois à compter de sa promulgation, les mesures nécessaires à la transposition de la Directive UE 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, dite « Paquet Marques » (article 201).
Cette transposition en droit interne est donc intervenue quatre ans après la promulgation de la directive.
Comme le souligne la doctrine, ce retard est sans doute dû au :
« chamboulement fondamental qu’elle représente ».
N. BINCTIN, C. DE HAAS, M. DHENNE, J. TASSI, P. TRÉFIGNY « La transposition du « paquet marques » : le « Printemps européen » du droit français des marques ? » – D. 2019. 1000.
En effet, elle conduit :
« au changement de régime juridique le plus important intervenu en droit français des marques depuis presque 30 ans et [elle] aura un impact conséquent sur la pratique quotidienne des titulaires de marques. »
Voir la réponse de l’APRAM à la consultation de la DGE sur la transposition de la Directive 2015/2436
Compte tenu des enjeux de cette réforme, le projet de texte avait d’ailleurs été rendu public par le Gouvernement en février 2019 et soumis à la consultation publique.
L’Ordonnance n° 2019-1169 transposant la Directive a été adoptée en Conseil des Ministres le 13 novembre 2019 (voir JO du 14 novembre 2019 et la version consolidée du texte).
De même, le Décret d’application n°2019-1316 du 9 décembre 2019, très attendu par les praticiens, est venu finaliser cette réforme.
Ces textes nous invitent à nous pencher sur certaines des modifications substantielles apportées par cette réforme s’agissant des procédures administratives devant l’INPI.
Une procédure d’opposition devant l’INPI élargie
L’article 43 de la Directive précise que les États membres devront prévoir une procédure administrative rapide et efficace permettant de s’opposer, devant leurs offices, à l’enregistrement d’une marque nationale pour les motifs prévus à l’article 5 (motifs relatifs de refus ou de nullité).
Extension des droits antérieurs opposables dans le cadre des oppositions
La Directive élargit la liste des droits antérieurs pouvant servir de base aux oppositions.
En droit interne, l’ancien article L.712-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoyait qu’il était possible de former une opposition devant l’INPI uniquement sur la base des droits antérieurs suivants :
- une marque antérieure (enregistrée ou notoire) ;
- un nom de collectivité territoriale ;
- une indication géographique ou une appellation d’origine.
La liste des droits antérieurs susceptibles d’être invoqués au soutien d’une opposition se trouve désormais étendue aux :
- nom commercial, dénomination ou raison sociale ;
- nom, image ou renommée d’une institution ou d’un organisme public ;
- marque renommée lorsque la marque contestée est de nature à tirer un profit indu de la renommée de la marque ou de lui porter préjudice ;
- marque déposée par un agent ou un représentant, sans l’autorisation du véritable propriétaire de la marque.
L’Ordonnance va donc au-delà de ce qui était prévu par la Directive selon laquelle sont autorisés à former opposition, conformément à son article 43, « (…) au minimum » :
- le titulaire d’une marque antérieure (au sens de l’article 5 §2) ;
- le titulaire de marques antérieures jouissant d’une renommée (au sens de l’article 5 §3, a)) ;
- la personne autorisée en vertu du droit applicable à exercer les droits découlant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée (article 5 §3, c)).
La doctrine a accueilli avec une certaine crainte la multiplication de ces nouveaux droits opposables devant l’INPI. Elle invitait d’ailleurs le législateur à se limiter aux droits antérieurs obligatoires visés par la Directive afin de laisser aux seuls tribunaux la compétence pour statuer sur les autres causes de nullité (N. BINCTIN, C. DE HAAS, M. DHENNE, J. TASSI, P. TRÉFIGNY « La transposition du ‘paquet marques’ : le ‘Printemps européen’ du droit français des marques ? », préc.).
À cet égard, la multiplication de ces nouveaux droits opposables implique une augmentation conséquente des procédures devant l’INPI. Et au jour de la réforme, certains déploraient que l’Office ne soit pas en mesure d’y faire face. L’INPI devant en outre s’adapter très rapidement à un changement profond de son fonctionnement habituel :
« L’office aura quelques mois pour organiser ses services afin d’être à même d’absorber ce nouveau contentieux. Une culture du contentieux judiciaire, et non plus simplement administratif, va devoir être développée, l’INPI devenant un juge de première instance de la propriété privée ».
N. BINCTIN, « 3 questions – Loi PACTE et Paquet Marques », JCP E, n° 25, 20 juin 2019, 407.
Par ailleurs, sous réserve qu’ils appartiennent tous au même titulaire, il est également prévu la possibilité d’invoquer plusieurs droits antérieurs, dans une même procédure. Cela n’était pas possible auparavant, le titulaire devant agir séparément pour chaque droit invoqué (nouvel article L. 712-4 issu de l’article 4-3°de l’Ordonnance). Ce point constitue une avancée positive.
Renforcement des preuves d’usage des marques antérieures
Autre nouveauté, les exigences en matière de preuve d’usage de la marque antérieure sont renforcées, pour peu que ces preuves soient sollicitées.
Jusqu’à la réforme, le titulaire de la marque n’était tenu de démontrer qu’un usage pour au moins un des produits et services sur lesquels est fondée l’opposition.
Avec la réforme, il doit le faire pour chacun des produits et services invoqués. L’INPI dispose d’un véritable pouvoir d’appréciation à cet égard.
Assurément, cette évolution est de nature à faire évoluer la gestion des procédures d’opposition, qui, désormais, pourront aussi aboutir à fragiliser les droits du titulaire.
Judiciarisation de la procédure d’opposition devant l’INPI
Le Décret du 9 décembre 2019 vient préciser la procédure d’opposition (actuels articles R. 712-13 et suivants du CPI).
En substance, il est à noter que la procédure se judiciarise avec une place importante donnée au principe du contradictoire.
Ce principe est rappelé par l’actuel article R. 712-6 du CPI de la manière suivante :
« L’institut doit respecter le principe du contradictoire. Toute observation dont il est saisi par l’une des parties est notifiée à l’autre ».
Le Décret précise désormais, dans une formulation visiblement inspirée du Code de procédure civile, que l’INPI :
« fait observer et observe lui-même le principe de la contradiction », à la manière d’un juge.
Nouvel art. R.712-16 du CPI.
Des délais de procédure d’opposition encadrés
Par ailleurs, la phase d’instruction est modifiée et encadrée dans des délais qui cadencent les échanges entre l’opposant et le titulaire de la demande d’enregistrement pour présenter leurs arguments et leurs pièces.
Il est ainsi prévu que le titulaire de la demande d’enregistrement, à qui l’opposition est notifiée, dispose d’un délai de deux mois pour présenter ses arguments et pièces.
Si la demande lui est faite par le titulaire, l’opposant dispose d’un délai d’un mois pour présenter des observations écrites en réplique ou toute pièce qu’il estime utile. Le même délai s’applique, le cas échéant, pour produire les pièces propres à établir l’usage sérieux des marques antérieures concernées.
Cette réplique ouvre un nouveau délai d’un mois au titulaire et ce ainsi de suite jusqu’à ce que les parties soient :
« réunies à l’issue de la phase écrite de l’instruction afin de présenter leurs observations orales, selon des modalités fixées par décision du directeur général de l’Institut ».
Nouvel art. R.712-16-1 du CPI
La date de fin de la phase d’instruction intervient dès lors qu’une partie n’a pas présenté d’observations à l’expiration de son délai d’un mois pour ce faire ou au plus tard le jour de la présentation des observations orales.
Une fois cette clôture intervenue, le directeur général de l’INPI dispose d’un délai de trois mois pour statuer sur l’opposition (nouvel art. R.712-16-2 du CPI).
Il est enfin prévu que la procédure puisse être suspendue dans les cas prévus par les nouvelles dispositions de l’article R.712-17 du CPI.
Augmentation du coût de la procédure d’opposition
À noter également que le coût d’une opposition est désormais de 400 € lorsqu’elle est fondée sur un droit antérieur (contre 325 € avant la réforme) et de 150 € par droit supplémentaire.
Pour connaître les nouvelles taxes de dépôt, renouvellement et opposition issues du Décret du 9 décembre 2019 et entrées en vigueur le 11 décembre 2019, consultez notre récapitulatif.
Entrée en vigueur rapide des nouvelles dispositions
L’article 16 du Décret, relatif aux dispositions transitoires, précise que ces nouvelles dispositions sont applicables aux oppositions formées à l’encontre d’une demande d’enregistrement déposée à compter de son entrée en vigueur, ce qui est particulièrement court.
Autrement dit, le Décret est entré en vigueur le 11 décembre 2019, soit le lendemain de sa publication (comme précisé dans l’exposé des motifs).
Nouvelles procédures INPI : la nullité et la déchéance de marques
L’article 45 de la Directive 2015/2436 énonce que chaque État membre doit prévoir une procédure administrative efficace et rapide devant leurs offices permettant de demander la déchéance ou la nullité d’une marque.
En droit interne, historiquement une action en nullité ou en déchéance de marque française nécessitait de saisir le tribunal. La procédure administrative instaurée par la Directive permet à un tiers d’introduire, directement auprès de l’INPI, une telle demande. Cette procédure se veut moins coûteuse et plus rapide.
Le débat suscité par le rôle élargi de l’INPI
Le rôle de l’INPI, l’étendue de ses pouvoirs et le caractère exclusif ou alternatif de cette procédure étaient des questions restées en suspens et en débat.
Sur le dernier point, la doctrine et de nombreux praticiens étaient plutôt favorables au caractère alternatif de la procédure, l’article 45 de la Directive précisant clairement que l’obligation d’établir une procédure administrative est prévue :
« sans préjudice du droit des parties de former un recours devant les juridictions ».
O. THRIERR, « Marques, dessins et modèles (#Loi Pacte) et Position de l’Institut Stanislas de Boufflers sur le projet de transposition du « paquet marques », prop. Ind. n° 5, mai 2019, al. 34.
C’est d’ailleurs la solution retenue dans plusieurs autres États membres.
Ce n’est toutefois pas la voie que le législateur français a choisie.
En effet, l’ordonnance prévoit (article 8 16 transposé au sein du nouvel article L. 716-5 CPI) que les actions en déchéance sont exclusivement portées devant l’INPI à titre principal et devant les juridictions à titre reconventionnel, ce qui va au-delà du texte de la Directive.
Une partie de la doctrine et des praticiens estimait que ce projet de transposition ne répondait pas aux objectifs d’efficacité et de rapidité de la procédure. Celle-ci impliquait notamment de prévoir une procédure administrative alternative, tout en laissant la possibilité de saisir les juridictions judiciaires lorsque cela présente un intérêt pour les parties (Position de l’Institut Stanislas de Boufflers sur le projet de transposition du « paquet marques », préc.). On pouvait en effet estimer que la création d’une procédure administrative ne devait en rien empêcher de former un recours devant les juridictions judiciaires
Quelles que soient les appréciations portées à cet égard, il convient pour lors de faire avec le caractère exclusif de la compétence confiée à l’INPI.
La procédure INPI en déchéance ou nullité de marque
Par ailleurs, le Décret du 9 décembre 2019 met en place une procédure similaire à celle décrite ci-dessus pour les oppositions s’agissant de la procédure en nullité et en déchéance (articles R. 716-3 et suivants).
Le principe du contradictoire est clairement réaffirmé (nouvel art. R. 716-3 du CPI).
De même, afin d’assurer une certaine impartialité de la procédure, il est prévu qu’un agent de l’INPI :
« ayant instruit une demande d’enregistrement d’une marque ou d’une opposition formée à l’encontre d’une demande d’enregistrement de marque ne pourra pas instruire la demande en annulation ou en déchéance de cette même marque ».
Nouvel art. R. 716-4 du CPI
Il reste à savoir si cela est suffisant pour garantir toute l’indépendance et l’impartialité nécessaires à l’exercice des nouveaux pouvoirs confiés à l’INPI.
Pour le reste, il est prévu une instruction écrite identique à celle prévue pour l’opposition, enfermée dans les mêmes délais. Le Directeur de l’INPI dispose également de trois mois pour statuer sur les demandes.
L’article R. 716-11 nouveau prévoit en outre des cas de clôture particuliers (retrait de la demande par le demandeur, perte de qualité pour agir, accord des parties, etc.).
Enfin, les articles R. 716-13 et R. 713-14 nouveaux du CPI prévoient des règles d’articulation entre les procédures administratives et judiciaires aux termes desquelles :
- La demande en nullité ou déchéance d’une marque est irrecevable lorsqu’une décision relative à une demande ayant le même objet et la même cause a été rendue entre les mêmes parties ayant la même qualité par l’INPI ou par une juridiction et que cette décision n’est plus susceptible de recours ;
- Sans préjudice des dispositions du deuxième alinéa de l’article R. 411-19 (recours à l’encontre des décisions du directeur général de l’INPI), la demande en nullité ou déchéance d’une marque présentée devant une juridiction en méconnaissance de l’article L. 716-5 (action en contrefaçon) est irrecevable. La juridiction relève d’office cette fin de non-recevoir ;
- Lorsqu’une juridiction est saisie d’une demande reconventionnelle en nullité ou en déchéance d’une marque, postérieurement à une demande formée entre les mêmes parties et pour les mêmes faits devant l’INPI, la juridiction peut surseoir à statuer jusqu’au jour où la décision sur la nullité ou la déchéance n’est plus susceptible de recours.
Ces nouvelles compétences exclusivement dévolues à l’INPI impliquaient des mesures d’organisation évidentes. Le législateur avait donc prévu (article 15 de l’Ordonnance) qu’elles entreraient en vigueur à compter du 1er avril 2020. Un délai d’adaptation qui reste très court.
L’absence de procédure administrative en nullité pour les dessins et modèles
En matière de dessins et modèles, alors que le Sénat proposait d’ajouter un article 42 bis dans le texte de loi, le Législateur a renoncé à l’introduction d’une procédure administrative dans le Code de la propriété intellectuelle pour les dessins et modèles.
Il est vrai que cette possibilité devait encore être débattue au niveau européen lors de l’adoption du futur « paquet dessins et modèles », à la suite de la consultation lancée par la Commission européenne.
De plus, d’aucuns considéraient qu’il était sans doute opportun d’attendre de voir comment se déroulerait « l’adaptation » de l’INPI à ses nouvelles compétences en matière de marques, avant d’instaurer une procédure similaire pour les dessins ou modèles (O. THIERR, préc.).
La procédure de recours contre les décisions de l’INPI
Enfin, l’Ordonnance du 13 novembre 2019 étend les pouvoirs du Directeur général de l’INPI. Ce dernier est désormais compétent non seulement pour prendre les décisions relatives à la délivrance, au rejet et au maintien des titres de propriété industrielle (alinéa 1er, inchangé), mais également pour statuer sur les demandes en nullité et en déchéance de marques (alinéa 2, nouveau de l’article L. 411-4 du CPI).
Ces nouvelles compétences devaient donc s’accompagner d’un encadrement des procédures de recours à l’encontre des décisions rendues à ce titre devant la cour d’appel.
Le nouvel article R. 411-19 issu du Décret du 9 décembre dernier prévoit que les recours à l’encontre des décisions statuant sur la nullité font l’objet d’un recours en annulation.
Autrement dit, la cour d’appel peut uniquement annuler la décision ou rejeter le recours.
Les recours à l’encontre des décisions statuant sur la déchéance font quant à elles l’objet d’un recours en réformation, déférant à la cour la connaissance de l’entier litige. Dans ce cas, l’article L. 411-4 nouveau du CPI, alinéa 2, précise que le recours a un effet suspensif.
Pour le reste (conditions formelles, délais et sanctions notamment encadrant la procédure de ces recours), la rédaction des nouvelles dispositions apparaît largement calquée sur la procédure de droit commun prévue par le Code de procédure civile.
Les professionnels ont eu jusqu’au 1er avril 2020, date d’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, pour appréhender ces procédures (et leurs chausse-trapes).
En conclusion, l’Ordonnance du 13 novembre 2019, complétée par le Décret du 9 décembre 2019, a considérablement élargi les compétences de l’INPI. En particulier, les nouveaux cas d’ouverture pour les procédures d’opposition et la procédure administrative en nullité et en déchéance de marques portée exclusivement devant l’INPI étendent significativement le champ d’intervention de l’Institut.
Faustine Chaudon & Pierre Massot
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